M

Avertissement légal

message

En savoir plus et configurer

Monde occulte

Le monde vu à travers l'ésotérisme, site personnel de jean-Luc Caradeau

Les icones signifient : Nous contacter, Informations, Menu, Réduire ce bandeau,agrandir/réduire la taille des caractères
Nous contacterMontrer les infosMontrer/cacher le MenuRéduire ce bandeauagrandir les caractères
Les textes et illustrations contenues sur ce site sont protégés par les lois sur le droit d'auteur (sauf indication contraire). Pour citer cet article : Jean-Luc caradeau, www.caradeau.fr, 2016 - L'inquisition : La répression de l’hérésie et de la sorcellerie chez les protestants -Les protestants n'ont créé ni inquisition ni droit canon ils ont chargé les tribunaux séculiers de réprimer l'hérésie... Article publié sous le pseudonyme d’Yves Leclerc dans le n°4 de Histoire des guerres de religions – juillet, aout, septembre 2013. Revu et complété avant publication sur ce site.
L'inquisition : La répression de l’hérésie et de la sorcellerie chez les protestants - - article - French

L'inquisition : La répression de l’hérésie et de la sorcellerie chez les protestants



pour citer ce texte, cliquez sur info

«  Si Michel Servet vient à Genève, je ne réponds pas qu’il puisse en sortir vivant. » Jean Calvin .

Matthew Hopkins
Voir l'image en grande taille

Frontispice de certaines éditions de la brochure (26 pages) de Matthew Hopkins The Discovery of Witches.
Elle en illustre la scène principale où deux sorcières font apparaître des esprits en présencede leur juge en les appelant par leur nom (0)

Cet article est le troisième du dossier Inquisition publié sous le pseudonyme d’Yves Leclerc dans le n° 4 de L’Histoire des guerres de religions (juillet, aout, septembre 2013).

Ni droit canon, ni inquisition, mais des tribunaux séculiers jugeant et punissant avec la même férocité qu'en terre catholique

À chacun ses hérétiques ! La Réforme naît de la liberté intellectuelle et du libre examen prôné par les humanistes, mais elle crée un dogme tout aussi rigide que celui de l’Église catholique. Luther et Calvin répriment l’hérésie et la sorcellerie avec autant de férocité que les rois d’Espagne. Pour eux, l’une des hérésies les plus graves est évidemment le papisme…

Une histoire difficile à établir

De « l’inquisition » dans le monde réformé, on sait relativement peu de choses. La cause en est la diversité protestante, chaque réformateur a créé son dogme et, s’il a fondé une communauté, il a créé son système de répression de l’hérésie. Par ailleurs, la Réforme confie en général la poursuite des hérétiques au tribunal séculier, le pasteur n’intervenant que comme dénonciateur, puis comme expert auprès du tribunal. Les procès pour hérésie ou sorcellerie se mêlent donc dans les archives à ceux de droit commun.
De cette « inquisition », on ne connaît que quelques condamnés célèbres. Citons la nonne extatique anglaise Elizabeth Barton (1506-1534) et ses disciples, Thomas More (1478-1535) – qui a refusé de prêter un serment dont la préface affirmait l’autorité du Parlement anglais en matière de religion et niait celle du pape – ou l’Espagnol Michel Servet (1511-1553).
D’ailleurs, en dehors des nombreuses exécutions auxquelles elle procède dans divers pays, cette répression n’a pas d’histoire et son action se confond avec celle des juridictions ordinaires. Les attendus de la condamnation – même quand il s’agit d’hérésie – contiennent rarement le mot, les juges lui préférant des termes tels que blasphème, impiété, voire trahison. Les accusés peuvent finir brûlés, mais aussi pendus comme les sorcières de Salem, ou même décapités…
L’Histoire, un éternel recommencement ?
Qu’il soit question de politique, de religion, d’humanisme ou de toute autre doctrine, l’idée du retour à la pureté primitive ou originelle est toujours accompagnée de celle d’une répression des dérives ou de supposés abus. Si l’inquisition catholique est un phénomène facile à définir, dont l’action et les méthodes peuvent être décrites, il n’en est pas de même du phénomène réformé équivalent s’apparentant en général aux « opérations mains propres » ou « renouveau moral » qui, en utilisant un arsenal juridique déjà en place, se livrent à des investigations approfondies préjudiciables aux libertés de la personne et entraînant parfois de graves persécutions. Il n’y a pas en réalité de « fait historique » que l’on puisse appeler « l’inquisition réformée », de même qu’il n’y a pas historiquement un mouvement de la Réforme, mais une multitude de mouvements réformés. L’unité du monde réformé, c’est son rejet des « dérives du catholicisme » et chacun des groupes qui la composent, suivant la puissance dont il dispose au XVIe siècle et plus tard, mène sa politique de pureté morale et religieuse. Ce phénomène se répète en permanence, partout dans le monde et dans toutes les religions, mais comme « l’inquisition protestante », il est difficile à définir, et même à observer. Il est, pour le monde occidental actuel, dans l’action de lobbies, de ceux qui prônent le « politiquement correct », de ceux qui voudraient au nom du respect des communautés qu’on « sanctionne le blasphème », de ceux qui dénoncent les « dérives sectaires ». L’effet de leur action est parfois infime, mais peut aussi entraîner des phénomènes de répression spectaculaires. Pour le reste du monde, il est dans l’action de mouvements religieux, politiques, voire ethniques ou claniques, revendiquant un « retour aux valeurs ».
Cette recherche n’est pas toujours synonyme de connaissance. A la fin des années 1990 intégristes hindouistes s’opposent à l’organisation du concours de miss monde en Inde comme contraire « aux valeurs hindoues » ! Tous sauf un, le plus radical d’entre eux qui leur rappelle que l’époque védique a glorifié la beauté féminine.
 


Les reproches à l’Église catholique

Au XIXe siècle, les protestants ne cessent de glorifier Galilée et de reprocher à Rome sa condamnation. Il est vrai qu’au XVIIe siècle, malgré leur vénération immodérée pour Aristote, ils avaient adopté le système de Copernic ainsi que les travaux de Kepler et rejeté la réforme grégorienne du calendrier parce qu’elle était proposée par le pape, cet idolâtre qui prône la croyance aux saints, à leurs reliques, aux indulgences payantes permettant de bâtir de somptueuses églises…
Les réformés n’évoquent guère le Napolitain Giordano Bruno (1548-1600), car calvinistes et luthériens l’ayant excommunié, les uns ou les autres auraient bien fini par le brûler comme l’a fait le pape (lire l’article : Une guerre de religion au sein de l’Église). Ils passent sous silence Michel Servet (1511-1553), le médecin espagnol inventeur de la circulation sanguine, brûlé vif pour hérésie le 27 octobre 1553, et qui est en quelque sorte le Giordano Bruno des calvinistes !

Michel Servet : médecin, réformateur et hérétique

Jean Calvin (1509-1564) écrit dans sa lettre du 13 février 1546 adressée à Viret (1511-1575), un autre réformateur : « Si Michel Servet vient à Genève, je ne réponds pas qu’il puisse en sortir vivant. » Servet est lui aussi un réformateur et a entretenu une correspondance suivie avec Calvin. Il est vrai qu’il a l’audace de penser que le dogme de la Trinité (accepté par Calvin) est inspiré par le Diable, ce qui fait que – de son point de vue – Calvin est tout aussi hérétique que le pape… En un mot, pour un réformateur, sont hérétiques tous les catholiques et tous les réformateurs qui ne sont pas d’accord avec lui. Il en résulte qu’une répression systématique le conduit à vouloir exterminer l’ensemble des personnes n’ayant pas adopté son credo.
Heureusement, à cette époque, aucune église protestante n’a été assez puissante et organisée pour pouvoir mener une telle action. La diversité de la Réforme « limite les dégâts ».
Ainsi Michel Servet, médecin de l’archevêque de Vienne, envoie des textes à Calvin. Guillaume de Trie, seigneur de Varennes, protestant lyonnais émigré à Genève et grand ami de Calvin (1), entretient une correspondance avec son cousin Antoine Arney (probablement catholique, vivant à Lyon). Il l’informe qu’à Vienne vit un homme qui nie la Trinité. Arney, indigné, demande des preuves que Guillaume obtient de son ami Calvin.
Des écrits de Michel Servet, en l’occurrence Christianismi Restitutio (La Restitution du Christianisme)), sont transmis à Antoine Arney qui les remet à l’inquisition.lyonnaise (catholique). Servet est arrêté à Vienne, s’évade de prison, est jugé par contumace, puis condamné au bûcher et brûlé en effigie.
Après avoir erré plusieurs mois aux frontières de la France, de l’Italie et de la Suisse, Michel Servet se réfugie à Genève. Il y est condamné par le Grand Conseil et est brûlé vif le 27 octobre 1553. Cependant la diversité protestante limite inévitablement l’efficacité de la répression. Ainsi rien ne dit qu’Henri Bullinger, le successeur de Zwingli à Lausanne, connaissait ses écrits. Il aurait probablement pu survivre ailleurs et créer une communauté unitarienne, puisque c’est ainsi que se nomme l’Église protestante née de sa doctrine. Certainement, beaucoup l’ont fait tels ces puritains, qui, persécutés voire condamnés comme hérétiques par la justice anglaise – en particulier sous le règne de Charles Ier – émigrent en Amérique, peuplent la Nouvelle-Angleterre et se livrent, à leur tour, à la persécution religieuse et à la chasse aux hérétiques(2).

Un Rose-Croix condamné au bûcher pour avoir porté une santé au Diable

On sait qu’il y eut des procès, des exécutions. Ainsi, un prétendu membre du mystérieux Ordre de la Rose-Croix, le peintre Torrentius (dont le patronyme était Van Der Beck) et son ami Coppens sont arrêtés, torturés, puis condamnés au bûcher en 1627. Leur peine est commuée en vingt années de prison par les autorités des Provinces-Unies (Pays-Bas protestants). Lors de leur procès, un témoin affirme qu’il les a vus et entendus porter une santé au Diable(3). Cela vaut bien vingt ans de prison…

La principale hérésie anglaise : le papisme

En Angleterre, Thomas Cromwell (1485-1540) fait un nombre important de victimes, mais les accusations portées contre elles mêlent systématiquement religion et actes de trahison. Il est édifiant de lire à ce propos les Lettres sur l’histoire de la Réforme en Angleterre et en Irlande(4) de William Cobbett (1763-1835), dont nous tirons cette histoire et qui montre bien l’aspect informel de la « justice » religieuse dans le monde réformé : « Thomas Cromwell, […] commença par accuser [… Margaret Pole (1473-1541) comtesse de Salisbury] d’avoir engagé ses tenanciers à ne pas lire la nouvelle traduction de la Bible, et d’avoir reçu des bulles de Rome, que le dénonciateur prétendit avoir trouvées dans le château de la comtesse, dans le comté de Sussex. Il produisit encore une bannière qui, disait-il, avait servi à des bandes de rebelles dans le nord, et qui avait également été trouvée chez elle. Ces divers chefs d’accusation étaient si absurdes qu’il ne fut pas même possible de faire le procès de la comtesse. »
C’est ce qui se passe si les croyances hérétiques du coupable ont été découvertes après sa mort ou si, après avoir été réconcilié avec l’Église, il est retombé dans ses « erreurs » et n’a pu être sanctionné de son vivant.
On questionne alors les juges pour savoir si le Parlement ne peut pas la « convaincre », c’est-à-dire la condamner sans l’entendre. Ils disent refuser ce genre de procédure et pensent que le Parlement en fera autant. On leur demande alors si cette action serait néanmoins légale. Ils répondent que oui. Cela suffit. On propose au Parlement un bill (projet de loi) en vertu duquel la comtesse de Salisbury, la marquise d’Exeter et deux seigneurs, parents du cardinal Pole, sont condamnés à mort… C’est de cette manière qu’est jugée puis pendue pour haute trahison Elizabeth Barton, la nonne extatique du Kent qui prétendait dans ses révélations que le divorce du roi ferait s’abattre de grands malheurs sur lui et l’Angleterre. Il est vrai que ces évènements se passent sous le règne d’Henri VIII (1509-1547), un tyran comme la France n’en a pas connu.
Les Églises unitariennes
La théologie de Michel Servet a donné naissance à des églises qui se reconnaissent comme unitariennes. Pour en savoir plus, lire : 100 questions sur l’unitarianisme universalisme posées au nom des non-membres lors d’une rencontre entre John Sias et le révérend Steve Edington, sur le site Internet du mouvement universaliste et unitarien du Québec : http://uuqc.ca/muuq/100_questions.html
Nous y avons relevé cette phrase étonnante : « Les congrégations reçoivent des humanistes, agnostiques, athées, théistes, chrétiens libéraux, néopaganistes et spiritualistes de la terre. Les congrégations sont liées par un certain nombre de principes communs, chaque personne décidant de la croyance qui mène vers ces principes. » Ce qui fait certainement de ces églises celles qui professent la doctrine monothéiste la plus libérale.
 


Le Code pénal de la reine Elizabeth Ire

Elizabeth Ire (1558-1603), alors que la grande majorité de ses sujets est catholique, instaure un code spécial pour réprimer cette hérésie. Elle aurait aussi, selon William Cobbett, institué des tribunaux pour juger et condamner les délinquants. Cependant, dans l’ouvrage de cet auteur toutes les affaires évoquées sont menées par la justice séculière, comme dans tous les autres pays protestants. Ce code sera perfectionné par ses successeurs jusqu’au règne de George III (1760-1820). Il crée pour le catholique anglais un « statut discriminatoire », lui interdisant, entre autres, tous les emplois publics et comportant des clauses pénales. Il prévoit que tous, quelles que soient leurs convictions religieuses, doivent « fréquenter avec exactitude les temples du culte établi », faute de quoi une femme mariée « perdait les deux tiers de sa dot ; elle n’était plus apte à devenir exécutrice testamentaire de son mari, et pouvait être renfermée pendant la vie de celui-ci, à moins qu’il ne payât pour elle dix livres sterling d’amende par mois. » Si un homme n’était pas assidu au temple, « les quatre premiers juges de paix venus pouvaient le citer à leur barre, le forcer à abjurer sa foi ; et, s’il refusait, le condamner, sans l’avis d’aucun jury, à un bannissement perpétuel et à mort s’il remettait les pieds sur le territoire anglais… »
Un code plus répressif encore fut imposé à l’Irlande.

Les réformés et le Diable : Luther, une bonne référence

Prenons note, les réformés dont Jean Calvin et Martin Luther (moine augustin défroqué, 1483-1546) en tête, rejettent les « superstitions papistes ». Mais, avec le pape, ils partagent la peur du Diable. Le Diable qui inspire les folies hérétiques et qui aide ceux qui ont conclu un pacte avec lui à commettre les pires crimes. D’ailleurs, ce personnage est omniprésent dans Mémoires de Luther écrits par lui-même(5). On y trouve cette affirmation qui résume bien les conceptions du réformateur : « Les fous, les boiteux, les aveugles, les muets sont des hommes chez qui les démons se sont établis. Les médecins qui traitent ces infirmités, comme ayant des causes naturelles, sont des ignorants qui ne connaissent point toute la puissance du démon. » (14 juillet 1528). Ce personnage veille aussi sur les hérétiques et proteste quand ceux-ci tentent de le chasser, comme lorsque « les moines conduisaient chez eux un possédé. Le Diable qui était en lui dit aux moines : ô mon peuple, que t’ai-je fait ! ». Nous comprenons bien là que le supérieur général des moines et des nonnes est, selon Luther, le Diable en personne et qu’il ne l’entend pas au sens figuré.
La « chasse aux sorcières » sera donc menée dans certaines régions réformées avec la même ardeur que dans les zones catholiques voisines. Robert Muchembled (né en 1944)(6) croit même à une possible émulation en ce domaine entre protestants et catholiques, tant il est méritant pour un chrétien de combattre le Diable.
Ce sont souvent des traductions du Marteau des sorcières, ouvrage commandé par le pape – qui guident les investigations des chasseurs protestants d’hérétiques. Par ailleurs, on dut, comme ce fut le cas en Champagne (catholique), à Dinteville en juillet 1594(7), recourir en certains endroits à l’épreuve de l’eau. C’est l’une des méthodes préférées du célèbre « chasseur de sorcières » Matthew. Hopkins (v. 1620-1647)(8) dont l’ouvrage The Discovery of Witches fut l’un des outils préférés des réformés tant anglo-saxons qu’américains. Lire à son sujet l’annexe en fin d’article.
En Nouvelle-Angleterre par exemple, les lois adoptées en 1641 prévoient la peine de mort pour onze crimes et la sorcellerie est citée en second(9).
La première exécution de sorcière répertoriée dans la colonie du Massachusetts date de 1648. Il s’agit de Margaret Jones, qui, comme beaucoup de « mères » de cette colonie, soigne par imposition des mains. Après avoir été accusée de sorcellerie, les juges reconnaissent qu’elle a un « toucher malin » provoquant la surdité ou des vomissements violents et incurables à ses patients(9)…
L’affaire des sorcières de Salem (Massachusetts) qui, en 1692, entraîna l’exécution de vingt-cinq personnes et l’incarcération d’un grand nombre d’autres, dont cinq moururent en prison, n’est donc en rien un cas isolé. « En Suisse, une jeune fille est décapitée en 1582, dans le district protestant de Glaris, pour crime de sortilège. […] Dans un autre pays, on pend un malheureux pour avoir montré les marionnettes qu’on regardait comme un artifi ce du Diable(10). »
En Hollande, le théologien calviniste Gisbertus Voetius (1589-1676) se fait le promoteur de l’ouvrage écrit par Jacques Ier d’Angleterre (1603-1625), Daemonologia disponible en latin sur le site Internet Google Books, plaidoyer vigoureux pour la « chasse aux sorcières »(10). Néanmoins, les Provinces-Unies (Pays-Bas protestants) abolissent les procès de sorcellerie en 1595. Ce seront les premiers en Europe…

Quelques affaires célèbres

Le peuple contre les sorcières : une innocente choisit la mort

Landar (Angleterre), 1649. Plusieurs personnes sont accusées de sorcellerie. Toutes sont condamnées à mort, sauf une femme. Elle fait appeler un ministre du Culte, confesse avoir eu des relations avec le Diable. Ses aveux paraissent suspects, on la presse de les retirer, elle les maintient. Vient le moment de marcher vers l’échafaud. Elle prend la parole : « Tous […] savent que je vais mourir convaincue, par mon propre aveu, d’être sorcière. Je remets à tous, et surtout au ministre et aux magistrats, le crime de mon sang injustement répandu. Je prends tout sur moi ; que mon sang retombe sur ma tête. Comme je dois maintenant parler devant le Dieu du ciel, je déclare que je suis aussi innocente du crime de sorcellerie que l’enfant qui vient de naître ; mais ayant été dénoncée par la haine d’une femme et mise en prison comme sorcière, méconnue par mon mari et mes amis, et ne voyant aucun moyen de sortir de prison et de recouvrer ma réputation perdue, j’ai fait cet aveu pour me soustraire aux malheurs de la vie car j’en étais fatiguée et la mort m’a paru préférable. »

Les sorcières de Salem

Vers la fin de l’année 1691, la fille (Betty, neuf ans) et une nièce (Abigail Williams, onze ans) du pasteur Paris tombent malades en même temps, sans qu’on parvienne à découvrir la cause de leurs souffrances, lesquelles paraissent intolérables. Un médecin, consulté sur l’état de ces deux enfants, déclare qu’il les croit ensorcelées. Le pasteur a deux domestiques indiens, un jeune homme appelé Osburn, et une femme nommée Tituba. Interrogés par leurs maîtres, ils déclarent avoir préparé un gâteau avec de la farine et de l’urine des fillettes. Ils ont cuit au four cette pâte pour les préserver des sorciers. En dépit de cette protection, la maladie des enfants s’aggrave. Dans les convulsions causées par la violence de la douleur, ils appellent à haute voix Tituba et la supplient de cesser de les tourmenter. Ils prétendent voir cette femme dans les moments où elle est absente, et désignent les endroits où elle leur apparaît tout en restant invisible aux autres personnes. Tituba, amenée devant les juges, se déclare sorcière et avoue agir avec deux autres sorcières, Sarah Osburn et Sarah Good. Elle a ensorcelé les deux enfants et ne cesse de les tourmenter. C’est d’une première maîtresse qui l’avait prise à son service, qu’elle a appris l’art de la magie. Elle est emprisonnée ainsi qu’Osburn et Good.
Pourtant, l’état des fillettes s’aggrave et elles désignent, comme auteurs de leurs maux, d’autres gens qui sont également incarcérés. La maladie des enfants se répand, presque toutes les familles de Salem sont touchées ! Accusations et aveux se multiplient. Au bout de quelques jours, cinquante personnes sont emprisonnées… Les magistrats ordonnent quelques pendaisons « pour l’exemple », puis se ravisent et déclarent tous les suspects innocents, y compris ceux qui ont avoué.
À la fin de l’année 1692, un habitant d’Andover (à moins de 20 km), Joseph Ballard, relance l’affaire. Il vient de perdre sa femme, qui a succombé à une fièvre lente. Il vient à Salem consulter « les chasseurs de sorciers », pour qu’on recherche les auteurs de la mort de sa femme. Il s’adresse à M. Dudley Bradstreel, juge de paix à Andover. Ce magistrat ordonne plus de quarante arrestations, mais voyant que le nombre de suspects s’accroît, il refuse d’expédier de nouveaux mandats d’arrêt. On l’accuse d’être lui-même sorcier et d’avoir ôté, par des sorts, la vie à neuf personnes. On est sur le point de le poursuivre, mais il fuit en Europe avec son épouse… On trouve vite d’autres coupables. Vingt-cinq sont exécutés, un grand nombre d’autres sont incarcérés dont cinq meurent en prison.

Matthew Hopkins, « Trouveur de sorcières général »

En 1640, les provinces de l’ouest de l’Angleterre créent une association pour la recherche et l’extermination des sorciers. Cette association donne carte blanche à Matthew Hopkins pour mener cette persécution. Il reçoit par tête de sorcier ou de sorcière la somme considérable de vingt shillings. Durant vingt ans, il soumet des « suspects » à l’épreuve de l’eau froide. Il semble cependant qu’il ne retire pas toujours assez rapidement de l’eau ceux qui coulent, car beaucoup périssent durant l’épreuve. Quant à ceux qui flottent, ils sont condamnés et brûlés !
Hopkins ne torture pas les prévenus, car la torture est illégale en Angleterre. Cependant, la recherche de la marque du Diable n’est pas un acte de torture. Il emploie donc des « piqueurs de sorcières » qui la recherchent à l’aide d’aiguilles, voire de couteaux, et obtient de nombreux aveux spontanés. Il utilise aussi, selon lui sur ordre des juges, la privation de sommeil. Celui qui s’autoproclame Witchfinder General (Trouveur de sorcières général) est si fier des succès obtenus par ces deux méthodes qu’il publie un livre, The Discovery of Witches. Il y détaille le récit de ses poursuites, comme celles concernant Elizabeth Clarks.
« Le délégué de l’association se trouvant en Essex dans une ville appelée Manningtree, lieu de sa résidence, apprit que sept ou huit individus, membres de cette horrible secte, s’assemblaient, avec quelques autres sorciers des villes voisines, dans une maison peu éloignée de la sienne. Ils se réunissaient une fois le mois dans la nuit du vendredi, pour offrir des sacrifices solennels à l’esprit des ténèbres et concerter leurs infernales opérations. Une nuit, pendant qu’ils étaient assemblés, j’entendis une des sorcières commander à plusieurs diables d’aller chercher une vieille femme de la secte et de l’amener au sabbat. Je courus avec mes gens chez la personne indiquée dont j’ordonnai aussitôt l’arrestation. Quelques femmes, que j’employais depuis plusieurs années à des recherches sur des personnes de leur sexe, l’examinèrent avec soin, et découvrirent, sur quelques parties secrètes de son corps des marques particulières qu’on n’observe jamais chez des femmes vertueuses. Je fis aussitôt mon rapport à la justice, et je reçus l’ordre de priver cette femme du sommeil jusqu’à ce qu’elle consentit à invoquer devant moi les esprits qui obéissaient à ses enchantements. Nous restâmes auprès d’elle pendant trois nuits consécutives sans pouvoir vaincre ses refus. Enfin la quatrième nuit elle annonça qu’elle allait invoquer les démons, et nous désigna d’avance les formes sous lesquelles ils se montreraient à nos yeux. Nous étions au nombre de dix dans l’appartement.
Après un quart d’heure d’attente, l’opération magique commença. La sorcière appela par trois fois à grands cris, Holt, et un chat blanc parut tout à coup au milieu d’eux, Jarmara, et nous vîmes entrer un épagneul dont une graisse extraordinaire avait arrondi toutes les formes et qui n’avait point de jambes. La vieille nous apprit que ce Diable lui suçait tout le bon sang qu’elle avait dans les veines, et que c’était là la cause de l’embonpoint excessif que nous avions remarqué. Vinegar Tom, et à l’instant parut une figure élevée sur de longues jambes, et dont le corps efflanqué présentait quelque ressemblance avec celui d’un lévrier ; mais il supportait une tête de boeuf dont les yeux occupaient la moitié de la face, et une queue d’un volume énorme. Effrayé à la vue de ce monstre, je lui adressai la parole et lui commandai de se retirer au lieu destiné pour lui et pour ses démons. Aussitôt il se transforma en un enfant de trois ou quatre ans sans tête, et, après avoir tourné cinq ou six fois avec rapidité autour de l’appartement, il disparut du côté de la porte. »*
Bien que nous n’en ayons aucune preuve, nous soupçonnons l’honnête Matthew Hopkins de mentir ou d’avoir été victime d’hallucinations. Son ouvrage serait-il un outil de propagande ? Vingt shillings (soit une livre sterling) par sorcier représentent au XVIe siècle une somme importante et son activité de chasseur de sorciers dut lui permettre de s’enrichir rapidement.
La sorcière invoque ensuite un esprit appelé Sacke & Sugar qui apparaît sous la forme d’un lapin noir, puis un dernier appelé Newes, qui se manifeste sous l’apparence d’une fouine. Celle-ci paraît rassembler les autres animaux et tous disparaissent. La sorcière dénonce alors ceux qui lui ont enseigné son art. Elle indique aux « piqueuses » l’endroit où elles trouveront sur chacun la marque du Diable, et dévoile les noms des esprits qui leur obéissent. Matthew Hopkins remarque que ces noms n’appartiennent à aucune langue humaine. Il convoque les personnes qui ont été dénoncées et chacune d’elles en dénonce plusieurs autres. Il conclut : « C’est ainsi que dans notre seul comté d’Essex vingt-neuf sorciers furent exécutés… » Ce récit est corroboré à peu de chose près par le témoignage de son assistant John Sterne lors du procès d’Elizabeth Clarks et de ses complices*.

L’épreuve de l’eau froide

Cette coutume répandue dans de nombreuses régions d’Europe est décrite par Hincmar, archevêque de Reims (845-882), et interdite par un capitulaire de Louis le Débonnaire, empereur d’Occident (814-840), en 829. Elle conserve néanmoins de nombreux partisans. En 1215, le concile de Latran défend aux ecclésiastiques de faire ni bénédiction, ni aucun exorcisme pour cette épreuve. Celle-ci semble cependant disparaître avant de réapparaître au XVIe siècle où on la réserve aux suspects de sorcellerie.
Selon Hincmar, on lie celui qui doit faire l’expérience, et on le tient avec une corde pour deux raisons. La première, pour lui ôter tout moyen d’user d’artifice ; la seconde, pour pouvoir le tirer facilement de l’eau, si, étant innocent, il s’enfonce. De la façon dont il est lié, le poignet gauche attaché au pied droit, et le poignet droit au pied gauche, le suspect peut subir l’épreuve dans un tonneau de grande taille. Après une longue cérémonie religieuse (chez les catholiques : messe, exhortation, exorcisme), le suspect est plongé dans l’eau. S’il coule, il est innocent, s’il flotte, il est coupable.

Les (in)certitudes historiques
L’inquisition réformée » a certainement fait un grand nombre de victimes. Mais combien ? Cela restera une énigme, car chaque procès est un cas particulier dans l’histoire d’une communauté grande ou petite, qui est elle-même par nature un cas particulier dans le monde réformé. Il suffit de se plonger dans la lecture des Annales de la sorcellerie en Nouvelle-Angleterre et partout ailleurs aux États-Unis(9) pour s’en convaincre.
L’auteur, Samuel Gardner Drake, rapporte un ou deux faits par an, et ses descriptions sont, de son propre aveu, souvent lacunaires ou incertaines. En 1650, il raconte qu’une certaine Mary Oliver s’est avouée coupable de sorcellerie… mais que nul ne sait ce qu’il est advenu ensuite. Pour l’année 1653, à Springfield, il rapporte qu’une femme nommée Knapp a été exécutée pour sorcellerie, mais il y a incertitude sur la date, qui pourrait être 1671, à moins qu’il ne s’agisse d’un homonyme. Il apparaît que Samuel Gardner Drake a travaillé à partir de sources indirectes et d’archives incomplètes aux qualités très inégales suivant les communautés.
Ainsi, pour l’année 1655, il en est réduit à écrire que plusieurs personnes dont on ignore le nom ont été exécutées dans la région de Boston.
 






(0) Source : Infographie réalisée par l'auteur à partir de plusieurs gravures anglaises du XVIe siècle.
(1) Alain Perrot, Le visage humain de Jean Calvin, Labor & Fides, 1989. L'acheter sur Amazon
(2) Lire sur ce site La croisade contre les albigeois, la première en pays chrétien et L’éradication du catharisme organisée par Saint Louis.
(3) Précisent les canons adoptés au synode de Vérone (1184) et confirmés par le quatrième concile de Latran (1215).
(4) Uwe Brunn, Quand Dieu et les démons délivrent des vérités sur les cathares in Les controverses religieuses… Publications de l’Université de Rouen, 2012. Acheter sur Amazon
(5) Celui qui crée les hommes ?
(6) Charles Molinier, L’inquisition dans le midi de la France au XIIIe et au XIVe siècle, Toulouse, 1880 Lire sur le site de la B. N. F.
(7) D’après Charles Molinier (voir note 6) résumant des passages de la Practica (Pratique de l’Inquisition) de l’inquisiteur Bernard Gui (1261-1331).
(8) Figure (avec cette orthographe) parmi les inquisiteurs cités dans une sentence.
(9) Lecteur du couvent franciscain de Carcassonne, condamné à la prison à vie par l’inquisition (v. 1260-ap. 1319), voir note 10.
(10) Lire B. Hauréau, Bernard Délicieux et l’inquisition albigeoise - 1300-1320, Revue des Deux Mondes T.75 (1868) pages 815 à 862. Lire sur Google Books.




Bibliographie
Tous les ouvrages utilisés ont été cité dans les notes.









image invisibleHaut de page