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Monde occulte

Le monde vu à travers l'ésotérisme, site personnel de jean-Luc Caradeau


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Les textes et illustrations contenues sur ce site sont protégés par les lois sur le droit d'auteur (sauf indication contraire). Pour citer cet article : Jean-Luc caradeau, www.caradeau.fr, 2016 - Une guerre de religion au sein de l’Église -La condamnation de Giordano Bruno comme celle de Galilée par l'inquisition furent des décisions du pape. Il s'agit de condamnations politiques ces deux hommes ont été sacrifiés pour apaiser un conflit dans l'Église. Article publié sous le pseudonyme de Jacqueline Delcroix dans le n°4 de Histoire des guerres de religions – juillet, aout, septembre 2013. Revu et complété avant publication sur ce site.
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Une guerre de religion au sein de l’Église

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«  Si Michel Servet vient à Genève, je ne réponds pas qu’il puisse en sortir vivant. » Jean Calvin .

Giordano Bruno
Giordano Bruno
Portrait de Giordano_Bruno, source Wikimedia Common, domainr public

Giordano Bruno et Galilée par : deux hommes sacrifiés pour apaiser un conflit dans l'Églisee

Ce conflit naît au premier siècle avec l’Église, et même avant elle, puisqu’il faisait déjà rage dans le judaïsme. Il oppose les partisans du « sens littéral des Écritures » à ceux qui veulent voir en elles un « sens caché ». Une lettre de Galilée du 21 décembre 1613 relance une fois de plus le débat.
Les partisans du sens littéral invoquent le chef de la révolte juive contre la domination syrienne hellénistique Judas Maccabée († 160), le pape Grégoire VII (1073-1085), et – abusivement – le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.) ainsi que le docteur de l’Église saint Thomas d’Aquin (1224/1225-1274).
Les partisans du « sens caché » se réfèrent au philosophe juif hellénisé Philon d’Alexandrie (v. -12-v.54), Denys l’Aréopagite, le Père de l’Église Clément d’Alexandrie (v. 150-v. 220) et l’humaniste de l’Académie platonicienne de Florence, Marsile Ficin (1433-1499). La guerre entre eux se déroule à coups de procès d’Église, de procédures inquisitoriales auxquels seuls recourent les partisans du sens littéral.
 

soucis de cohérence ou intolérance ? La communauté scientifique n’est pas une Église et ne dispose pas d’une structure comparable à l’inquisition. Néanmoins, elle exclut de son sein les chercheurs hérétiques, ceux dont les recherches ou les résultats – même non contestés ou non contestables – s’avèrent non conformes au paradigme* scientifique du moment.
Parmi les dernières victimes médiatiques de cette chasse aux hérétiques, citons Michel Gauquelin (1928-1991) et son épouse Françoise (née en 1929) avec leurs travaux sur « L’influence des astres » dans lesquels il n’a été trouvé aucune faille méthodologique… Leurs études se poursuivent néanmoins actuellement dans des universités étrangères.
Citons également Jacques Benvéniste (1935-2004) dont les travaux sur la « Mémoire de l’eau » ont été discrètement repris par plusieurs chercheurs et plus récemment Luc Montagnier … Dont on tente de discréditer les expériences de transduction de l’ADN.
Paradigme. * « Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. » (Trésor de la Langue Française)
 


L’essence du conflit

La circulation dans Rome de la lettre du savant Galilée (1564-1642) adressée le 21 décembre 1613 à un de ses anciens élèves, Benedetto Castelli (1577-1643), dans laquelle il affirme, entre autres, qu’une lecture littérale de l’Écriture entraînerait « bien des absurdités et des hérésies », fut à l’origine de son premier procès devant l’inquisition. Pourtant, ce passage est presque une citation de Thomas d’Aquin : « Quand, en effet, l’Écriture parle du bras de Dieu, le sens littéral n’est pas qu’il y ait en Dieu un bras corporel »(1). Il est vrai que tant qu’il s’agit du corps de Dieu, platoniciens et scolastiques sont d’accord, les Écritures utilisent les mots au sens figuré. Là où tout change, c’est quand les platoniciens en viennent à contredire la « logique aristotélicienne des scolastiques »(2), une logique très dépendante de la conception du monde selon Aristote, qui veut un Dieu transcendant et un monde limité. À ceci près que le Dieu d’Aristote ignore le monde, alors que celui des scolastiques intervient dans le monde en agissant sur les individus. Cependant, la position des scolastiques est généralement bien plus restrictive que ce qu’écrit Thomas d’Aquin.
Disons pour simplifier que – de même que de nombreux auteurs du XIXe siècle « condamnent le docteur du XIIIe siècle, parce qu’il n’a pas eu la science »(3) de leur temps – les scolastiques des XIVe, XVe et XVIe siècles, ainsi que les fondamentalistes d’aujourd’hui, condamnent la science de leur temps parce que Thomas d’Aquin ne la connaissait pas. C’est cette attitude caricaturale qui amène ces derniers à vouloir que la « voûte céleste » soit quelque chose de solide ou que le monde ait été créé « en sept jours de vingt-quatre heures ». De même, à l’époque de Giordano Bruno (1548-1600) et à celle de Galilée, ils pensent que le système de Copernic (1473-1543) est contraire aux Écritures parce qu’il en contredit « la Lettre » en affirmant que le soleil est au centre de l’univers et que la terre tourne autour.
Pareillement, parce que Thomas d’Aquin a adopté la logique aristotélicienne, les péripatéticiens (voir encadré) rejettent toute idée qui n’entre pas dans ce « moule » comme contraire aux Écritures. L’un des grands mérites de l’Église catholique est d’avoir réussi à conserver en son sein les deux tendances malgré le conflit qui les oppose depuis toujours. Le plus extraordinaire est que les deux partis lisent les mêmes textes sacrés et les mêmes théologiens, mais n’en font pas la même lecture.
Parce qu'Aristote aimait dit-on enseigner en se promenant son école fut appelée école péripatéticienne et ses disciples les périratéticiens. Le terme est l'usage courant de ce terme est attesté dès le XIVe siècle pour désigner les disciples d'aristote.
Par ailleurs les écoles du Moyen-Age et de la Renaissance, enseignent la logique à partir de traductions latines du traité d’Aristote. La logique est un outil de raisonnement et rien de plus. Mais les autres œuvres d’Aristote sont également étudiés. Les partisans d’une interprétation littérale des écritures, plutôt que d’intégrer la logique à leurs raisonnements retiennent les conclusions que livre d’Aristote dans ses divers traités et les acceptent comme des dogmes. Au XVIe et XVIIe siècle, ils revendiquent le nom de « péripatéticiens » par opposition aux platoniciens.



Frère Giordano s’intéresse à l’hermétisme, la magie, la cosmologie

Né à Nola (royaume de Naples) en 1548, Filippo (c’est son nom de baptême) rejoint l’université de Naples à quatorze ans. En plus des cours, il suit des leçons particulières de philosophie qui lui permettent de découvrir Platon et les platoniciens, peu ou pas étudiés à l’université, ainsi que les œuvres de Raymond Lulle (1232-1315), celles traitant de théologie et de l’art de mémoire(4). Le 15 juin 1565, il entre en religion chez les Frères prêcheurs de San Domenico Maggiore, un prestigieux couvent dominicain où Thomas d’Aquin a enseigné la théologie. Il adopte le prénom de Giordano en hommage à Giordano Crispo qui y enseigne la métaphysique. Il est ordonné prêtre en 1573 et nommé lecteur en théologie en juillet 1575. Il soutient une thèse sur certains aspects de la théologie de Thomas d’Aquin et celle de Pierre Lombard (v. 1100-v. 1160) dont Les Quatre Livres des Sentences servirent de modèle à Thomas d’Aquin pour sa Somme théologique. Au couvent, Giordano lit Érasme (1466/1469-1536) dont les œuvres sont interdites depuis 1559(5). Il s’intéresse aussi à l’hermétisme, à la magie et se passionne pour la cosmologie. Ses supérieurs instruisent à son propos une enquête pour hérésie. Il les devance en rompant ses vœux en février 1576.
Par ailleurs, les musulmans d’Espagne sont affaiblis, mais la puissance turque est un danger permanent pour toute l’Europe (les Turcs mettront à sac la ville italienne d’Otrante en 1482). Grenade, le dernier bastion de l’islam en Espagne, peut devenir d’un jour à l’autre la tête de pont de l’Empire ottoman dans la péninsule ibérique. L’émir de Grenade a prêté le serment d’allégeance à Ferdinand III en 1246, mais l’un de ses descendants peut le rompre et appeler au djihad et à la reconquête avec l’appui de l’Empire ottoman.

Excommunié par les calvinistes, puis par les luthériens, et finalement condamné à mort par le pape

Suit une longue période d’errance au cours de laquelle Giordano Bruno visite toute l’Europe, ce qui lui vaudra d’être excommunié le 6 août 1578 à Genève par les calvinistes puis à Helmstedt en 1589, par les luthériens. Il professe à l’université de Paris et à celle d’Oxford. Il écrit beaucoup, ses talents allant de la science à la philosophie en passant par la poésie et le théâtre. Ainsi, à Paris, où il a la faveur d’Henri III (1574-1589), il publie Des ombres des idées, un traité sur l’art de mémoire selon les vues de Raymond Lulle. Comme, en apparence, le traité est mal compris, il « l’éclaire » par une comédie, Le chandelier (le faiseur de chandelles)(6). Ses œuvres complètes ont été éditées pour la première fois en français par Les Belles Lettres en 1993(7). En 1591, le doge Giovanni Mocenigo, qui désire étudier l’art de mémoire pour briller dans les salons, l’invite à Venise. Ce sera sa perte.

Les martyrs de la science Quand on envisage le cas d’un scientifique martyrisé par l’Église, vient immédiatement à l’esprit le nom de Galilée qui ne fut pourtant qu’assigné à résidence et bénéficia de « grands adoucissements » de son sort. On oublie Giordano Bruno qui, lui, mourut sur le bûcher. Cependant, tous deux professent le platonisme, voire le pythagorisme et l’hermétisme ; tous deux sont, en astronomie, partisans du système de Copernic ; tous deux, enfin, se préoccupent de mathématiques et de métaphysique. Le premier est un laïc, fait de nombreuses recherches en physique et est l’un des pères de la méthode expérimentale. Le second est un clerc théoricien et logicien qui affirme l’étendue infinie de l’univers ainsi que la pluralité des mondes et des hommes.
 


Dénoncé à l’inquisition vénitienne

Son hôte dénonce Giordano Bruno à l’inquisition. Les accusations qu’il porte contre lui sont stupéfiantes : il aime les femmes et regrette de ne pas avoir réussi à en « posséder autant que Salomon », il doute de la virginité de Marie, ne croit pas à la transsubstantiation, professe qu’il existe une infinité de mondes, peuplés par une infinité d’humanités, pratique la magie, place ses espoirs dans des hérétiques comme Henri IV, la reine Elizabeth et les luthériens(8). Giordano Bruno est alors arrêté en septembre 1592. L’inquisiteur de Venise l’interroge. La dénonciation le guide évidemment et il pose à Bruno des questions qui reflètent les accusations portées contre lui, des questions que l’on ne posera jamais à Galilée. Bruno donne des réponses conformes à la théologie platonicienne. A-t-il écrit contre la foi catholique ? Non, mais il arrive, comme dans tout écrit philosophique, qu’il s’écarte des Écritures. À propos de l’infinité des mondes, il répond qu’il serait indigne de Dieu, infiniment puissant, de se contenter d’un seul monde alors qu’il peut en produire une infinité. A-t-il nié le Déluge ? Il est absurde, répond-il, de croire qu’une inondation au Moyen-Orient a pu anéantir l’Amérique ; l’existence des Indiens prouve que le Déluge n’est pas universel. A-t-il traité la reine Elizabeth de Divine ? Oui, dit-il, dans une formule de politesse.
Le tribunal s’avère très embarrassé et sollicite un avis du procureur. Ce dernier propose au tribunal de transmettre une copie du procès à l’inquisition d’une ville comme Naples ou Rome, où l’on est plus féru de la « doctrine de la connaissance ».

Giordano Bruno face à l’inquisition romaine

La copie est donc transmise et Rome réclame le transfert du prisonnier. Il y arrive en 1593. Son procès est plusieurs fois interrompu et sa détention traîne en longueur. Le pape Clément VIII (1592-1605) suit personnellement l’affaire. À partir de 1597, son cas est confié au consulteur du Saint-Office, le cardinal Bellarmin (1542-1621), un grand admirateur de Thomas d’Aquin, mais pas un fanatique. En janvier 1599, il propose à Bruno, s’il veut avoir la vie sauve, d’abjurer les propositions suivantes :
  • avoir démontré la cause du mouvement de la Terre sans contredire les Écritures ;
  • l’univers est infini, éternel et composé de mondes innombrables – ce qui s’oppose à l’idée d’une création divine ;
  • les astres sont de véritables messagers de la voix divine ;
  • les deux principes réels de l’existence sont l’âme du monde et la matière originelle ;
  • l’âme humaine est une expression transitoire de l’Âme du monde ;
  • rien ne s’engendre ni ne se corrompt ; la vie et la mort ne sont que des modes transitoires ;
  • la Terre a une âme, non seulement sensitive, mais aussi intellectuelle, et peut-être davantage ;
  • l’âme constitue une simple réalité spirituelle actuellement présente dans le corps.
Curieusement, les graves accusations de Giovanni Mocenigo ont disparu. Ne restent que les points qui contredisent les tenants du sens littéral. La première proposition revient à l’affirmation simple que, dans les Écritures, le terme « voûte des cieux » (Job XXII, 14) et le verset « Il a bâti sa demeure dans les cieux, Et fondé sa voûte sur la terre… » (Amos IX, 6) décrivent une apparence sensible et non une réalité physique. Quant à la seconde proposition, prétendre qu’elle s’oppose à l’idée d’une création divine, c’est confondre « l’infini matériel » qui est en réalité un indéfini et « l’infini métaphysique ou infini en essence »
Les scolastiques, avec leur héros Thomas d’Aquin, distinguent bien « l’infini en essence » de « l’infini en grandeur ». Selon eux, Dieu est « l’infini en essence » (Somme théologique, livre 1, chapitre 7). Rien ne s’oppose donc à ce qu’il crée un univers « infini en grandeur et composé de mondes innombrables ». Disciple de Thomas d’Aquin, Bellarmin ne peut avoir fait cette confusion. Le thomiste qu’il est adopte donc, durant ce procès, une position littéraliste qui est bien loin d’être la sienne. Il en fera de même, et d’autres prélats également, durant le procès de Galilée.
Giordano Bruno ne répond pas clairement. Il veut en appeler au pape en personne, dit « regretter » ses « erreurs », demande le pardon et prie le souverain pontife d’avoir de la miséricorde. C’est justement Clément VIII qui va décider qu’il est coupable. Celui-ci en effet participe une fois par semaine aux travaux de l’inquisition qui prononcera, entre 1595 et 1605, plus de trente condamnations à mort(9). Le 8 février, la sentence est lue à Giordano Bruno. Il est déclaré « hérétique, impénitent et obstiné » et est livré « au bras séculier ». Évidemment, tous ses ouvrages seront réduits en cendres et inscrits à l’index des livres interdits. Il est brûlé le 17 février 1600.

Giordano Bruno fut-il panthéiste ? C ’est l’accusation que portent aujourd’hui beaucoup d’auteurs laïcs, catholiques et protestants contre ce théologien du XVIe siècle. Notons que le mot a été forgé au XVIIIe siècle pour fustiger la philosophie de ceux qui prétendent que Dieu est en toutes choses et en tous lieux, et donc immanent, ce qui ne l’empêche en aucun cas d’être transcendant. Ces auteurs devraient inclure Thomas d’Aquin parmi les panthéistes puisque, dans la Somme théologique, il conclut l’article 1 de la question 8 par cette phrase : « Dieu est tout entier dans tous les êtres et dans chacun. » (Édition numérique : Bibliothèque de l’édition du Cerf, 1984, suivie du Supplementum réalisé par frère Reginald, http://docteurangelique.free.fr
 


Galilée, symbole du rejet de la science par l’Église

Il y a une différence fondamentale entre le procès de Giordano Bruno et celui de Galilée. Ce dernier n’a pas été dénoncé. Par ailleurs, c’est un laïc bien connu à Rome et ses travaux d’astronomie jouissent de l’estime du pape Paul V (1605-1621) et du cardinal Maffeo Barberini, le futur Urbain VIII (1623-1644).

Les péripatéticiens se révoltent contre Copernic

C’est un simple moine dominicain nommé Caccini qui prend l’initiative d’attaquer Galilée, ou plutôt le système de Copernic. Il est immédiatement soutenu par Niccolò Lorini (1554-1617), prédicateur général de l’Ordre et professeur d’histoire ecclésiastique à l’Université de Florence. Lorini écrit au cardinal Mellini, président de la Congrégation de l’Index (ou au cardinal Paolo Camilla Sfrondati) le 5 janvier 1615 à propos de la lettre de Galilée à Castelli dont il joint une copie. Il dénonce ce passage : « … la sainte Écriture ne peut ni mentir, ni se tromper : seulement ses interprètes peuvent errer… Si on voulait s’arrêter toujours à la signification littérale […], on serait entraîné en bien des […] absurdités et hérésies, car il faudrait dire que Dieu a des mains ; des pieds, etc. »
Le cardinal Mellini diligente aussitôt une enquête. Un consulteur(10) lit la lettre et n’y trouve rien de répréhensible. Le 19 mars, le pape en personne est saisi de l’affaire, car les adversaires du système de Copernic s’agitent. Le 26 février 1616, le commissaire du Saint-Office ordonne à Galilée d’abandonner entièrement l’opinion sur le soleil centre du monde et immobile, de ne plus exposer ni enseigner le mouvement de la Terre, que ce soit de vive voix ou par écrit, sous peine de se voir intenter un procès. Le 5 mars, les œuvres de Copernic sont condamnées.

Galilée conserve la faveur de la cour papale

Malgré cet avertissement, Galilée est mieux en cours que jamais. Le 2 février 1623, il obtient l’autorisation de publier L’essayeur(11). Le rapport du qualificateur(12) du Saint-Office est un éloge et l’ouvrage plaît au pape. Les péripatéticiens tentent sans succès de le faire interdire. En 1630, Galilée se rend à Rome pour obtenir l’autorisation de publier Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Il remet un exemplaire de son manuscrit au préfet de l’inquisition, qui, après avoir constaté que Galilée affirme la réalité physique du mouvement de la Terre, le confie à un consulteur. Ce dernier propose des corrections qui sont discutées avec l’auteur. Galilée les accepte, mais devra soumettre plusieurs fois son manuscrit corrigé avant d’obtenir l’autorisation de le publier en 1632. En août, des péripatéticiens dénoncent l’ouvrage au pape qui nomme une « commission extraordinaire » pour l’examiner. À propos de cette commission, le dominicain Tommaso Campanella (1568-1639) écrit : « Aucun des membres […] n’est mathématicien, et tous passent pour être peu disposés en faveur de Galilée. » Ils ne sont donc pas qualifiés. En fait, la cour de Rome, ou plutôt le pape Urbain VIII, a décidé d’accorder une victoire aux péripatéticiens.

Un verdict de pure forme

L’issue du procès qui va s’ouvrir est jouée d’avance. Le maître du Sacré Palais (préfet de l’inquisition), qui a donné l’autorisation d’imprimer l’ouvrage, juge maintenant que ses instructions n’ont pas été suivies et l’interdit. Le pape, pour sa part, estime que le livre « peut causer à la religion de grands préjudices, plus grands que jamais il n’y en eut. » Que craint donc Urbain VIII ? Probablement un nouveau schisme, voire simplement une révolte de prétendus péripatéticiens (qui, s’ils ont lu Thomas d’Aquin, ont oublié de le comprendre). C’est un procès de pure forme. Galilée est assigné à résidence dans le palais de son puissant ami Nicolini, l’ambassadeur du grand-duc de Toscane. Entre les audiences, il y reçoit ses amis dont de hauts prélats et plusieurs consulteurs du Saint-Office, tous convaincus à titre personnel du bien-fondé du mouvement de la Terre. D’ailleurs, même le dominicain Niccolò Riccardi, le maître du Sacré Palais, trouve que le décret de 1616 est injustifié. Néanmoins, il condamnera Galilée pour n’y avoir pas obéi.
Galilée ne subira pas la Question. Le 22 juin 1633, il est condamné à abjurer, à réciter chaque jour pendant trois ans les sept psaumes de pénitence, et à une peine de prison dont la durée est à la discrétion du Saint-Office. Néanmoins, il ne connaîtra pas les geôles romaines, le pape ordonnant immédiatement qu’il reste assigné à résidence au palais de Nicolini. On l’autorise dès le 30 juin à se rendre à Sienne, au palais de son ami l’archevêque Piccolomini. En décembre, il peut se retirer dans sa villa d’Arcetri, près de Florence. Il lui est seulement interdit de fonder une académie et de traiter du mouvement de la Terre…

Deux procès théologiques pour raisons politiques

Si les livres de Galilée révoltaient les péripatéticiens, il est certain que ceux de Giordano Bruno, bien plus radicaux, les indignaient encore plus. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le pape qui a pris personnellement la décision de condamner. Clément VIII a offert aux littéralistes la combustion d’un platonicien et Urbain VIII la condamnation de l’astronomie copernicienne.
L’église venait de subir le schisme protestant et les schismatiques, comme les péripatéticiens étaient pour la plupart partisans d’une interprétation littérale des écritures. Il semble que cette convergence d’opinion entre les péripatéticiens et les protestants ait donné aux premiers un grand poids politique et que les papes – et leur entourage – aient vécu dans la crainte d’un nouveau schisme ou d’une révolte.
Par ailleurs, les héritiers des humanistes du XVIe siècle sont, à cette époque, dans l’entourage des papes, tandis que la masse des moines et probablement des prêtre se réfère à une lecture littérale du texte sacré. Lire également l’article consacré au procès de Galilée.

L’abjuration de Galilée
Moi, Galileo Galilei, fils de feu Vincent Galilée, Florentin, âgé de 70 ans, constitué personnellement en jugement, et agenouillé devant vous, éminentissimes et révérendissimes cardinaux de la république universelle chrétienne, inquisiteurs généraux contre la malice hérétique, ayant devant les yeux les saints et sacrés Évangiles, que je touche de mes propres mains ; je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant, et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la sainte Église catholique et apostolique romaine ; mais parce que ce Saint-Office m’avait juridiquement enjoint d’abandonner entièrement la fausse opinion qui tient que le Soleil est le centre du monde, et qu’il est immobile; que la Terre n’est pas le centre et qu’elle se meut; et parce que je ne pouvais la tenir, ni la défendre, ni l’enseigner d’une manière quelconque, de voix ou par écrit, et après qu’il m’avait été déclaré que la susdite doctrine était contraire à la Sainte Écriture, j’ai écrit et fait imprimer un livre dans lequel je traite cette doctrine condamnée, et j’apporte les raisons d’une grande efficacité en faveur de cette doctrine, sans y joindre aucune solution; c’est pourquoi j’ai été jugé véhémentement suspect d’hérésie pour avoir tenu et cru que le Soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait. C’est pourquoi, voulant effacer des esprits de Vos Éminences et de tout chrétien catholique cette suspicion véhémente conçue contre moi avec raison, d’un cœur sincère et d’une foi non feinte, j’abjure, maudit et déteste les susdites erreurs et hérésies, et généralement toute autre erreur quelconque et secte contraire à la susdite sainte Église : et je jure qu’à l’avenir je ne dirai ou affirmerai de vive voix ou par écrit, rien qui puisse autoriser contre moi de semblables soupçons; et si je connais quelque hérétique ou suspect d’hérésie, je le dénoncerai à ce Saint Office, ou à l’inquisiteur, ou à l’ordinaire du lieu où je serai. Je jure en outre, et je promets, que je remplirai et observerai pleinement toutes les pénitences qui me sont imposées ou qui me seront imposées par ce Saint Office; que s’il m’arrive d’aller contre quelques-unes de mes paroles, de mes promesses, protestations et serments, ce que Dieu veuille bien détourner, je me soumets à toutes peines et supplices, par les saints canons et autres constitutions générales et particulières, ont été statués et promulgués contre de tels délinquants. Ainsi, Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles, que je touche de mes propres mains.
Moi, Galileo Galilei susdit, j’ai abjuré, juré, promis, et me suis obligé comme ci-dessus; en foi de quoi, de ma propre main j’ai souscrit le présent chirographe de mon abjuration et l’ai récité mot à mot à Rome, dans le couvent de Minerve, ce 22 juin 1633. Moi, Galileo Galilei, j’ai abjuré comme dessus de ma propre main.
(extrait de : Astronomie Populaire [1904] de Camille Flammarion, éditions Flammarion)
 






(1) Somme théologique, question 1, article 10, solution 3: Lire sur le site ce l'INSTITUT DOCTEUR ANGÉLIQUE
(2) La logique scolastique est celle d’Aristote, mais adaptée au christianisme - voir l'encadré. Ces derniers se donnent souvent le titre de péripatéticien (partisan de la doctrine philosophique d’Aristote).
(3) Ramière de la Compagnie de Jésus, De la théologie scolastique (Paris, 1858), Lire sur Google Books
(4) L’art de mémoire est aujourd’hui défini comme une méthode mnémotechnique très puissante remontant à l’Antiquité. Mais l’art de mémoire est beaucoup plus que cela. Lire à ce propos Le magasin des sciences de Thomas Schencke traduit par Adrien Le Cuirot (1778), Lire sur Google Books
(5) Mis à l’index par le pape Paul IV en 1559, mais l’inquisiteur général, ou l’un de ses successeurs, a pu accorder un induit (terme utilisé par J-M De Bujanda in Index des livres interdits, Tome 8 : Index de Rome 1557, 1559, 1564, Pu De Sherbrooke, 1991). C’est un édit formulant l’exemption exceptionnelle et temporaire d’une obligation ou interdiction canonique (imposée par l’Église) permettant aux dominicains ou même aux seuls moines de San Domenico Maggiore de lire certains livres interdits.
(6) Le chandelier est disponible en italien sur letteraturaitaliana.net. Lire en ligne
(7) Auparavant, les ouvrages de Giordano Bruno étaient extrêmement rares et chers, la plupart des auteurs qui ont écrit sur lui avant cette date ne les avaient pas lus.
(8) Domenico Berti, Vita di Giordano Bruno da Nola, 1868, Lire sur Google Books
(9) Bernard Barbiche in Dictionnaire historique de la papauté de Philippe Levillain (Fayard, 2003) L'acheter sur Amazon.
(10) Expert donnant un avis sur l’orthodoxie d’un texte.
(11) Il Saggiatore, une réponse au livre aristotélicien du père Grassi Libra astronomica (Balance astronomique).
(12) Expert en théologie auprès du Saint-Office.




Bibliographie
Tous les ouvrages utilisés ont été cité dans les notes.









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